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La Mixité – Instaurer le dialogue

Par Marie-Luce Barthelémy (Propos recueilli), Avril 2021

Bientôt un quota de femmes dirigeantes ?

Depuis plusieurs années, la question de la place de la femme aux instances de direction se pose, Marie-Christine Mahéas, co fondatrice du think tank de l’Observatoire de la mixité accepte de nous éclairer.

 

Que signifie « la mixité » ?

Dans une organisation, c’est un état dans lequel aucun genre n’est représenté à plus de 60%. C’est un chiffre qui peut paraître un peu arbitraire mais qui est en réalité empirique.

 

Comment est né le think tank de l’observatoire de la Mixité que vous codirigez ?

La source de mon engagement dans la mixité date d’il y a quinze ans. C’est une femme chasseuse de tête qui me l’a inspirée.

Au Canada, j’avais vu des débordements ultra féministes violents et j’ai compris ce que cela provoquait chez les hommes : une immense retenue. Lorsque l’on me parlait de réseau de femmes en France, je ne voulais pas m’y intéresser.

Finalement, invitée dans le mouvement PWN « Professional Women’s Network » [1] je réalise combien cela fait du bien d’être dans un réseau pour construire sa carrière et en particulier dans un réseau de femmes même si la mixité viendra agrémenter tout cela par la suite. Au fil de mon investissement, j’en deviens la présidente. J’ouvre le sujet de l’engagement des hommes : comment faire en sorte que les hommes se sentent concernés et s’incluent dans les questions de mixité ?

En même temps, je lance des projets intégrant les hommes et coordonne l’écriture d’un livre : « Mixité quand les hommes s’Engagent » (Eyrolles, 2015), traduit en anglais (Eyrolles, 2016). Et c’est ainsi que je suis contactée par l’Institut du Capitalisme Responsable qui souhaite développer le sujet de la mixité.

L’Observatoire né comme cela. Je sollicite mon réseau. 15 experts représentants les Grandes Ecoles au Féminin, Le Laboratoire de l’Egalité, L’Essec, le Medef etc, participent aux travaux ainsi qu’une dizaine d’entreprises qui viennent avec leurs expériences et problématiques. L’Observatoire est parrainé par Michel Landel, ex-DG de Sodexo, aujourd’hui administrateur indépendant, engagé de longue dates sur ces questions.

 

Qu’y faites-vous ?

  1. Nous œuvrons pour accélérer la mixité dans les organisations. Nous construisons une boîte à outils [2]: « les six mesures pour accélérer la mixité dans les organisations ». Fruit d’un travail rédigé par les experts et les entreprises pendant un an et demi. Les outils choisis sont puissants comme par exemple :
    • L’engagement fort du patron et de la patronne,
    • La sensibilisation des collaborateurs sur le sujet…
  1. Nous travaillons sur l’engagement des dirigeants, je crée un club de dirigeants (en mai 2021, ils seront 20) pour que l’émulation entre pairs crée de la valeur et de la mixité. Ils ont par exemple écrit une tribune dans le JDD au mois d’août, une autre dans le Monde en janvier 2021.

    C’est un cercle vertueux car au fur et à mesure des réunions ils prennent de l’assurance et de l’enthousiasme, ils retournent dans leur entreprise et sont moteurs d’initiatives.

    D’ailleurs, ils sont remarqués par la Ministre Elisabeth Moréno qui leur demande leur avis sur une loi à paraître proposant des quotas dans les instances dirigeantes.

  1. Nous menons actuellement une expérience « Nudge » sur la promotion des femmes au poste de direction auprès de trois entreprises avec l’aide de la société BVA Nudge Unit (théorie du Nudgequi fait appel aux automatismes des individus de façon à accélérer la mise en place d’actions positives). Ces entreprises analysent leurs processus de promotion interne et de recrutement : rédaction des offres, diffusion, entretiens…  Les résultats montreront si des Nugde fonctionnent pour promouvoir les femmes !
  1. Nous avons mis au point un QCM qui permet aux dirigeants de mesurer très rapidement leur engagement à la mixité.

 

Que gagne-t-on à mettre en place la mixité ?

Quatre piliers défendent la mixité :

  • C’est une question d’éthique et de justice ;
  • Avec la RSE, les organisations doivent une égalité de traitement aux hommes et aux femmes ;
  • La performance : les femmes sont responsables de 80% des décisions d’achats domestiques. C’est vrai pour les voitures, et RENAULT a mis davantage de femmes dans les équipes commerciales !
    La mixité est également synonyme d’innovation accrue car les différents points de vue enrichissent les décisions.
    La satisfaction clients : le mix à la base des décisions produits, ainsi que l’image mixte (comme la société et ses consommateurs/clients) d’une société accroît la satisfaction clients.
  • La marque employeur : les entreprises inclusives attirent les talents et réduisent le turnover.

 

Que pensez-vous de la discrimination positive ?

Cela dépend ce que l’on entend par discrimination positive. S’il s’agit de rétablir un équilibre après des siècles de déséquilibre, oui il faut des actions volontaristes pour promouvoir davantage de femmes. Mais cela n’empêche pas de promouvoir la ou le plus compétent. Prenons l’exemple de la loi Copé-Zimmermann en 2011 [3], les conseils d’administration sont aujourd’hui mixtes en France avec 43-45% de femmes (CAC40, SBF120) et cela n’a pas été au détriment des compétences puisque comme le montrent plusieurs études, les CA fonctionnent mieux aujourd’hui grâce à l’équilibre des points de vue et des sensibilités. Sans la loi Copé-Zimmermann il est évident que l’on n’aurait pas fait ce saut vertueux.

Malheureusement sans avoir eu d’impact escompté sur la mixité des COMEX et des CODIR.

 

Comment réagissent les nouvelles générations ?

Les progrès restent faibles dans la vision stéréotypée des rôles féminins/masculins mais les jeunes femmes sont davantage militantes, défendent leur salaire par exemple.

 

Quelle serait votre organisation idéale ?

Un Comex à 50-50, un pool de talents à 50-50, des recrutements à 50-50 et une inclusion dans les actes de toutes les différences. Chacun serait lui-même sans se conformer à un modèle dominant.

On vit mieux en étant soi-même, on est plus performant.

 

Propos recueillis par Marie-Luce Barthelémy


 

Marie-Christine Mahéas

Franco-canadienne formée au general management à la Harvard Business School. Ingénieure spécialisée en mathématiques appliquées aux problématiques industrielles. Sa carrière se déroule dans des fonctions de direction des opérations et directions commerciales dans le monde du transport aérien (American Airlines/Sabre), du voyage d’affaires (CWT) et du transport ferroviaire (SilverRail Technologies).

 

Elle enseigne à Sciences Po Paris, en Master à l’école des Affaires Publiques, elle est spécialisée dans les théories du Management.

Marie-Christine est engagée sur les questions de mixité hommes/femmes au travail depuis une quinzaine d’années. Elle se consacre en particulier au dialogue hommes-femmes et à l’engagement des hommes sur les questions de mixité

En novembre 2016, elle a donné un TED talk  au TedX Champs Elysees Women, où elle a livré sa vision de là où en sont les hommes aujourd’hui sur les questions de mixité.


[1] PWN

[2] Les 6 mesures qui accélèrent la Mixité en entreprise

[3] https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/egalite-professionnelle-10-ans-de-la-loi-cope-zimmermann