Grandir

Pandémie et pratiques RH

Interview d’un Directeur d’un laboratoire pharmaceutique

Pourriez-vous nous dire ce qui a été mis en place dans votre entreprise pendant la pandémie ?

Un dispositif sanitaire a été mis en ligne avec les instructions gouvernementales.
Plusieurs dispositifs ont été mis en place à différents niveaux.

Organisation du travail

Pour les collaborateurs dont la mission le permettait, le télétravail à 100% a été imposé. Ils ont bénéficié de matériel informatique et d’une subvention pour l’achat de chaises de bureau pour leur assurer les meilleures conditions de travail possible.

Des outils informatiques permettant le travail collaboratif à distance ont été déployés en urgence (type « Teams » / « Zoom » ou autre « Share points ») en même temps que l’augmentation du débit des réseaux.

Certains collaborateurs ont eu la possibilité de revenir sur site pour des raisons exceptionnelles (raisons médicales ou autres moyennant la mise en place nominative d’autorisation de déplacement) ; notre laboratoire étant un établissement pharmaceutique.

D’un point de vue administratif, le badgeage électronique a été maintenu (après une période laborieuse de gestion via des trackers Excel, puis élaboration d’un système à distance).

Depuis juin 2021, une invitation à revenir sur site, à raison d’un jour par semaine, pour le personnel le souhaitant, a été faite (retour vivement encouragé pour redynamiser les équipes).

Implication au service des soignants

Notre société a contribué à aider les soignants en donnant des blouses de travail et autre fourniture de protection utilisés habituellement en environnement industriel.

Accompagnement des collaborateurs

Une cellule d’aide psychologique dédiée COVID a été mise en place au service des collaborateurs et la vaccination a été proposée aux personnes fragiles.

Une communication hebdomadaire de la Direction pendant toute la période (avec des vidéos des avancées et mise en avant des équipes) a été effectuée.

Une initiative prise grâce à l’application « United Heroes », (interactions entre équipes pour créer et rester en lien) a permis de reverser les fonds récoltés à la Fondation des Hôpitaux de France.

Ce que j’ai mis en place pour mon équipe

De mon côté, pendant cette période, j’ai mis en place un café virtuel journalier en Visio pour favoriser les échanges informels avec l’équipe – tous ont assidument et scrupuleusement suivi ces points très attendus.

J’ai demandé aux collaborateurs de respecter les pauses de travail de la même manière que sur site.

Afin de prendre leur pause déjeuner, je leur ai suggéré expressément de ne pas fixer de réunion pendant ces moments-là, (ceci n’a pas toujours été respecté).

J’ai encouragé également la tenue de de réunions « flash » pour traiter les sujets plutôt que d’envoyer des fils de courriels.

Ces dispositions assez générales de bon sens seront amenées à perdurer en dehors de la période pandémique.

Comment cette nouvelle organisation de travail a-t-elle été vécue par vous et votre équipe ?

Après une courte période de désarroi, chacun a pris ses marques conscient du caractère exceptionnel de la situation et des enjeux (obligation de continuité de service auprès des patients en dépit des sujets brûlants (réorganisation, nouveaux arrivants, objectifs ambitieux, etc.).

La période est vécue de façon variable, mais globalement sans problème notable. L’équipe a apprécié le gain de temps perdu dans les transports et la flexibilité que ce mode de travail a apporté, avec plus de temps partagé en famille et un rythme de vie plus équilibré.

Les enfants et le temps de travail

La gestion des enfants a sans doute été le plus gros défi à relever (vacances et fermeture des établissements scolaires).

J’ai vu une augmentation significative des heures travaillées en raison de la charge de travail, l’explosion des réunions Teams (parfois 8 par jour) ainsi que la multiplication du nombre de courriels.

L’esprit du télétravail

À un moment, certains télétravailleurs ont eu l’impression d’être indésirables sur site (la priorité a été donnée à la fabrication/contrôle), ou ont été perçus comme « téléglandeurs ». Les chiffres à date attestent au contraire de l’engagement fort de l’ensemble de la communauté en télétravail ou en présentiel.

Nous avons eu l’occasion de nous retrouver sporadiquement sur site, ainsi la rupture n’a pas été totale et le lien a été maintenu.

Cette période a permis aux collaborateurs (managers et autres) de se focaliser pleinement sur les délivrables

Finalement, j’ai constaté un renforcement de la synergie entre collaborateurs et de l’esprit d’équipe quand bien même il y a eu pendant cette période de nouveaux arrivants dont des alternants.

Une « bienveillance COVID » aura duré un certain temps, mais vite rattrapée par la course aux échéances.

Que se passe t’il maintenant ?

Le nouveau réel

Le retour sur site

  • Un retour sur site des collaborateurs est exigé depuis début septembre à raison de plusieurs jours par semaine avec obligation de se retrouver en équipe au complet au moins 1 jour par semaine (de fait nous nous retrouvons tous).
  • Un nouvel accord de télétravail a été négocié avec l’ensemble des parties et un périmètre élargi a été agrée mettant en exergue des dispositions plus souples et néanmoins demandant le respect de travail sur site 3 jours par semaine.

L’ambiance de travail

Un nouveau départ

  • Il y a une certaine excitation à se retrouver et croiser l’ensemble des collègues
  • La reprise des séminaires et de moments festifs pour resouder le collectif
  • Une véritable impulsion et enthousiasme à tous se retrouver (à voir si cela perdure dans le temps

Des peurs

  • Lorsque l’on discute en individuel on ressent également chez certains de la nostalgie, voire une réelle anxiété face à ce retour.
  • Une difficulté réelle de reprendre le rythme. Cela prendra du temps.

La gestion de l’organisation du travail en mode hybride perdurera : présentiel/distanciel.

Quelles leçons en tirez-vous ?

  • La qualité du travail est restée la même,
  • Les échéances ont été respectées,
  • Une équipe soudée au départ le reste grâce à sa propre force dynamique et son manager, réel catalyseur,
  • La réussite passe par la responsabilisation, la confiance, le respect, l’authenticité et la reconnaissance,
  • La charge accomplie a été démultipliée (presque par 2),
  • Des personnes solidaires, disponibles et en meilleur état de santé général quand la balance pro/perso est respectée.

Qu’est-ce qui change pour vous et pour votre équipe ?

En apparence rien ; en réalité beaucoup : l’identité et les affinités se sont affirmées. Une quête de sens et de remise en question des modèles désuets s’est accentuée. Un regard critique plus acéré et une libération de la parole. Des besoins et des attentes que l’employeur va avoir du mal à ignorer.

J’observe des changements de vision sur le parcours professionnel/personnel (envies de déménagement, télétravail longue distance, reconversion, etc.) avec des conséquences probables à moyen terme si les projets se concrétisent (par exemple, certains dans mon équipe envisagent possiblement de prendre un congé sabbatique).

Se retrouver c’est échanger, exposer et confronter.

Conclusion : une accélération dans la mutation des conditions de travail

La révolution était déjà en marche avec l’émergence des nouvelles technologies et la quête de sens au travail des nouvelles générations. La période pandémique semble avoir accéléré ce constat avec l’apparition de nouvelles modalités de travail. Pour les profils d’expertise, rares sur le marché dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, les entreprises n’hésitent plus à attirer/retenir les talents en limitant la présence sur site (parfois à l’étranger) à quelques jours par mois. Ils accèdent ainsi à une population désireuse d’évoluer tout en préservant leur cadre de vie. Par ailleurs, les maisons-mère de grands groupes utilisent leurs sites détachés locaux (usines ou filiales) pour proposer des contrats de travail correspondant au pays d’origine du candidat. L’envers de la médaille est que les candidats sont maintenant mis hautement en concurrence, y compris à l’international.

Un autre phénomène est le recentrage sur les valeurs intrinsèques et signifiantes à la personne avec l’apparition de « slashers » qui n’hésitent plus à cumuler les expériences professionnelles ; une diversification permettant une plus grande flexibilité et une motivation continuelle.

Propos recueillis par Marie-Luce Barthelemy