« La famille de bon exemple est celle où l’on s’entraide et s’entr’aime, où jeunes et vieux cheminent dans la bonne voie en se donnant la main. C’est un milieu salutaire où l’on s’épanouit doucement.
Henri-Frédéric Amiel
Les ruptures professionnelles surviennent rapides et violentes avec fracas et parfois sans bruit comme la perte de son poste ou l’épuisement professionnel. Entourer, accompagner et partager le chemin de la personne blessée est ardu car il demande une posture spécifique. Laissons-nous toucher par les textes proposés et prenons le temps d’y revenir car il y a matière…
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Nicolas, Marie-Amélie et leurs enfants se livrent à un témoignage juste et touchant sur l’épreuve de la rupture professionnelle vécue en famille. Un chemin de vie inspirant… Quelle est la situation, le contexte ? |
Point de vue de Nicolas
En septembre 2023, Marie-Amélie met fin à sa mission de responsable de communication et levée de fonds dans une association qui œuvre dans le secteur médico-social auprès de personnes handicapées. C’est une mission à mi-temps et proche de la maison qui lui permet encore d’être très présente auprès des enfants encore à la maison. Elle a recommencé à travailler 5 ans auparavant après une longue pause de 18 ans pendant laquelle elle s’est consacrée à sa famille, à de multiples actions de bénévolat et à des expériences professionnelles ponctuelles en freelance.
Elle pense trouver rapidement une nouvelle mission, est déterminée à poursuivre dans le domaine de la communication dans lequel elle œuvre depuis 5 ans et qui lui va parfaitement. Elle manque de confiance dans sa capacité à prendre des postes plus importants, regarde des offres, y répond, rencontre certains professionnels qu’elle a croisés ou dont elle a entendu parler précédemment et qui l’attirent, mais sans que rien n’aboutisse.
Point de vue de Marie-Amélie
À notre retour de l’étranger, j’ai un sentiment de mission accomplie auprès des enfants et je suis prête à retravailler à mi-temps. Après une période de bénévolat, je prends le poste de responsable de communication et de levée de fonds pour une association, un « challenge » qui m’enchante, car cela me permet de découvrir un milieu que je ne connais pas bien, ainsi qu’une mission dans laquelle de nombreuses actions sont à développer, voire à construire. J’y passe cinq années riches, et en retire la satisfaction d’avoir rempli la mission. J’aspire à autre chose et avec l’accord bienveillant de Nicolas, je prends la décision de mettre fin à ce contrat pour conserver une image positive de ces cinq années. Je quitte ce poste avec des idées très affirmées : plus de postes dans l’ESS (plus de postes qui mêlent le professionnel et la foi catholique…) J’ai pris trois mois pour me reposer, faire le point, et commence à chercher un nouveau poste en janvier 2024, mais en vain. En avril, je commence un parcours Trajectoire de trois mois avec Grandir. En novembre 2024, je prends mes fonctions de chargée de missions dans le service Volontaires de l’Œuvre d’Orient. Oui je suis toujours dans l’ESS (Économie Solidaire et Sociale), et dans un milieu catholique ! Mais c’est assumé et surtout cela répond à des critères clairement identifiés pendant le parcours Trajectoire. Être dans une ONG internationale, être dans l’humain, parler anglais, m’ouvrir à d’autres horizons, continuer à apprendre.
Point de vue des enfants
A : Maman est au chômage, en recherche d’un boulot pour le long terme qui lui corresponde vraiment.
E : Maman a mis fin à sa mission auprès de l’association car cela lui prenait beaucoup de temps, elle n’avait pas de mission très fixe ou enrichissante et avait l’impression de tourner en rond.
Comment la situation est-elle vécue ?
Point de vue de Marie-Amélie
Après une phase initiale qui ressemble à une libération, une liberté retrouvée, un moment où je peux m’ouvrir à tous les possibles, mon élan initial s’essouffle rapidement et plus les mois avancent, plus je doute, sur ma capacité à retrouver un poste. Est-ce bien ce que je veux faire ? En suis-je capable ? Le fait qu’aucune des pistes ouvertes n’aboutissent même pas à un entretien n’aide pas. Je m’enfonce dans une sorte de morosité dont rien de bon n’émerge, avec un retentissement visible sur la famille.
Point de vue de Nicolas
Je dois avouer être assez « cool ». Je trouve important qu’elle prenne le temps de réfléchir à ce qu’elle souhaite vraiment, qu’elle s’occupe d’elle. Je vois qu’elle est pressée de retrouver, mais je temporise.
Je l’encourage aussi à explorer des postes qui sont un peu à côté de ce qu’elle cible initialement. Il me semble aussi prendre le temps d’écouter la manière dont elle a vécu ses journées, comme si c’étaient des journées de travail, ou plutôt, comme si elle avait eu sa tranche de vie, son moment social en dehors du strict cercle familial.
Point de vue des enfants
A : Pour maman, selon moi, au début cela lui a fait du bien. Ça lui a permis de se poser et de se mettre au clair sur elle-même. Et puis quand ça a commencé à durer, c’était plus dur, ça commençait à être trop long. Pour moi, au début, j’étais contente de pouvoir voir maman à chaque fois que je rentrais des cours ou lorsque je rentrais déjeuner. Et plus le temps passait, plus Maman était tendue, stressée. C’était plus tendu à la maison, on ne pouvait plus trop chercher maman dans ses limites. Et puis la voir comme ça m’a un peu fait mal au cœur car ça avait l’air d’être vraiment dur.
E : Au début je trouvais cela bien, j’étais contente que maman ait eu la force de quitter son travail, elle était plus là pour nous et je me suis sans doute un peu trop reposée sur sa présence. Cependant j’ai senti qu’à un moment cela a commencé à lui peser de ne pas recevoir de réponses ou de trouver un travail qui lui plaisait vraiment, tout cela accompagné je pense d’un sentiment d’impuissance car on ne pouvait pas vraiment l’aider. De plus j’ai aussi eu l’impression que maman ne s’accordait pas le droit de prendre de pauses ou de profiter pleinement de ses vacances car elle ne travaillait pas.
Comment l’avez-vous accompagné ?
Point de vue de Nicolas
D’abord par des conseils, classiques, reçus pendant mon parcours Tremplin notamment. J’explique à Marie-Amélie le principe des entretiens réseau ou encore le fait de décrire 100 réalisations probantes. Je sais que ça n’est pas simple de se lancer. C’est toujours facile d’expliquer la théorie, difficile de prendre son téléphone et prendre des rendez-vous surtout au début. Je vois bien qu’elle essaie, mais n’aboutit pas.
À propos de la confiance, lui dire qu’elle peut prétendre à certains postes dans lesquels elle n’ose pas se projeter ne produit pas d’effet.
Comprenant que je n’arriverai à rien, je contacte Grandir pour lui parler de la situation. De fil en aiguille, Marie-Amélie envisage de s’inscrire à un parcours Trajectoire mais se dit que ça n’est pas raisonnable. Mon accompagnement consiste donc davantage à lever des barrières qui n’ont pas lieu d’être, y compris dans la localisation, la durée de travail, l’ouverture vers des domaines non envisagés ou inenvisageables, le fait d’investir un peu d’argent dans un parcours qui portera inévitablement des fruits.
Point de vue des enfants
A : Je n’ai rien fait à part peut-être essayer de ne pas la tendre davantage qu’elle ne l’était déjà. J’ai prié pour elle et à la fin quand elle a postulé au poste qu’elle a obtenu, je l’ai poussée à le prendre, à envisager d’aller à Paris (même si je pense que mon point de vue sur la situation n’a rien changé).
E : Je ne pense pas avoir fait grand-chose à part m’intéresser aux différentes propositions, aux avancées qu’elle faisait, aux gens qu’elle rencontrait. Je l’ai cependant accompagnée par la prière, seule force que je pouvais lui offrir.
Comment l’entourage a-t-il été lui-même soutenu ?
Point de vue de Nicolas
Le fait de savoir Marie-Amélie prise en main dans un parcours, au sein d’un groupe a été une forme de soulagement, ce d’autant plus que je la vois rentrer contente de chaque session. Je n’étais pas seul parce que les enfants sont là aussi et soutiennent à leur manière, différemment mais pas moins efficacement, par des encouragements, en particulier d’A., celle qui restera seule à la rentrée qui pousse Marie-Amélie à envisager un job même à Paris : « je suis assez grande, je me débrouillerai. »
Cependant, le fait de savoir Marie-Amélie accompagnée sur le fond de son projet, me soulage.
Quels soutiens avez-vous reçus ? Et comment ?
Point de vue de Marie-Amélie :
Plusieurs choses ont été fondamentales. Je sentais un vrai soutien de la part de la famille, chacun à sa manière, soit par des mots encourageants, des regards profonds qui en disaient long sur le soutien apporté, un câlin furtif, un baiser d’un enfant. Une fois le premier entretien passé, les enfants ont été un réel soutien, car ils ont mis en mots l’image que je renvoyais en leur racontant mes entretiens : « Maman, c’est un poste pour toi, tu vas l’obtenir. Tes yeux s’illuminent quand tu en parles. » Alors oui, partager en famille les difficultés, mais aussi les joies, cela m’a vraiment boostée et implicitement je sentais qu’ils validaient mon projet et étaient prêts à ce changement de rythme.
Un soutien également de la part d’amis à qui je pouvais confier mes questionnements, lassitudes, inquiétudes, et qui, sans juger, m’ont aidée à prendre de la distance par rapport à la pression que je me mettais pour retrouver rapidement un poste. Je ne trouvais pas ma situation légitime ; en effet, je l’avais choisie, c’était à moi de m’en sortir rapidement. J’ai donc appris à lâcher prise et à entrevoir l’essentiel.
Enfin, la rencontre avec Marie-Luce de Grandir, qui m’a proposée d’intégrer ce groupe Trajectoire, a été déterminante. Une partie de moi disait oui, et l’autre tambourinait avec une petite rengaine qui me disait : « Ce n’est pas ta place, ce sont tous des dirigeants, ils ont des postes à responsabilité. » C’est là que Marie-Luce a su trouver les mots et me faire comprendre que j’avais ma place et que mon parcours pouvait aussi apporter au groupe. J’ai accepté, la peur au ventre.
Le groupe Trajectoire a été formidable, et je m’y suis bien sentie. Nous avancions ensemble, chacun avec notre histoire, notre parcours, mais dans un but commun : aider l’autre, lui permettre de se réaliser et de s’épanouir dans ses projets. Ce groupe a aussi été un précieux soutien.
En quoi cette situation fait elle avancer ?
Point de vue de Marie-Amélie :
Avec du recul, je pense que cette situation nous a tous fait grandir.
J’ai appris à lâcher prise sur la gestion du quotidien en acceptant que tout ne soit pas parfait, que tout ne soit pas fait comme je l’avais décidé. J’étais dans la maîtrise de tout, des agendas de chacun, de l’organisation. Accepter de ne plus pouvoir tout faire, et que d’autres le fassent, même différemment, est un effort pour moi mais peut-être un cadeau pour eux, une possibilité de prendre plus d’initiatives et décider par eux même.
Cela a été très bénéfique pour moi, car j’ai pu m’investir sereinement et complétement dans le parcours Trajectoire, puis dans ma recherche de poste, et enfin dans mes nouvelles fonctions, car mon rythme allait changer radicalement. Je passais d’un mi-temps à 10 minutes de la maison à un 80 % à Paris, soit 2 heures de transports par jour, avec des déplacements à l’étranger. Cela a aussi permis, je pense, aux enfants de voir que leurs parents ont aussi des faiblesses, qu’ils peuvent douter, qu’ils doivent se remettre en cause. Nous sommes imparfaits. Et je pense que, pour nos jeunes qui se construisent en tant qu’adultes, il est aussi important de voir que nous traversons des périodes de doute, tout comme ils peuvent en traverser. Nous avons la vie pour grandir.
Point de vue de Nicolas
La situation de recherche d’emploi mobilise chaque membre de la famille dans une forme de soutien qui lui est propre. Elle favorise aussi de la bienveillance, peut-être aussi davantage d’attention, de compréhension des humeurs changeantes. Elle permet aussi assez naturellement d’envisager de changer soi-même quelques habitudes.
Par exemple, quand Marie-Amélie envisage sérieusement une opportunité à Paris, je l’y encourage en lui disant que je rentrerai plus tôt, que je serai plus présent à la maison, davantage présent pour faire tourner la maison. Cela permet simplement d’envisager le rééquilibrage de nos contributions respectives à la vie de famille. Je l’envisage avec un certain enthousiasme. C’est toujours la contrainte qui m’a fait avancer. C’est une bonne occasion.
Enfin, le nouveau job de Marie-Amélie pour une association à caractère international nous fait tous découvrir un monde complétement nouveau qui intéresse tous les membres de la famille. Cela a assez radicalement changé la nature de nos échanges à table, nous pousse à nous ouvrir.
Point de vue des enfants
A : la question pour moi serait davantage : en quoi cette situation fait-elle changer ?
Le rythme à la maison n’est plus le même, je suis toute seule quand je rentre, mais j’aime bien ça (mon petit moment de solitude après une journée où j’ai vu plein de monde). Maman fait un peu moins les repas (ça dépend vraiment des semaines) les rôles sont un peu échangés : Papa est plus souvent à la maison.
E : N’étant plus à la maison, cette année, je ne vis pas ce changement au quotidien. Cependant je pense que cela a insufflé une nouvelle dynamique à la maison, que les différentes tâches sont réparties différemment, peut-être mieux. Et quand je rentre, je me retrouve dans une situation ou papa gère plus de choses surtout quand maman est en déplacement et après un temps d’adaptation cela a l’air de fonctionner. Enfin je trouve que maman a l’air plus épanouie malgré des débuts difficiles, nous avons eu de belles discussions autour de son travail, et je sens que Maman se sent plus légitime et prends le temps de vivre de bons moments.
Quels conseils donneriez-vous à d’autres familles ?
Point de vue de Marie-Amélie
– Sortir de sa bulle, se faire accompagner
– Communiquer, échanger, partager en vérité sur les difficultés ou joies
– Accepter de lâcher prise, se faire confiance.
Point de vue de Nicolas
– Éviter la pression
– De l’écoute quotidienne attentive et bienveillante
– Un accompagnement extérieur, c’est indispensable
– Considérer que la recherche d’un emploi est un vrai job à temps plein
Point de vue des enfants
A :
– Y croire, dans le cadre de la recherche d’un job à long terme, c’est important de faire un point sur soi-même pour comprendre ce qui est vraiment recherché
– Accepter que cela ne sera pas facile tous les jours
– Soulager le membre qui est en recherche de certaines tâches quotidiennes pour qu’il puisse se concentrer sur lui-même
– Prier
E :
– S’entourer, et en parler
– Trouver une activité pour décompresser
– Et se rendre compte que c’est un vrai travail, ne pas perdre sa légitimité, son estime de soi
Quels conseils donneriez-vous à des personnes qui traversent seules cette situation ?
Point de vue de Marie-Amélie
S’entourer, trouver un accompagnement de qualité et des personnes de confiance avec qui l’on peut partager en toute liberté ses états d’âme.
Point de vue de Nicolas
S’entourer surtout. Tremplin ou Trajectoire sont de très bonnes solutions.
Point de vue des enfants
A :
– Croire en soi
– Se faire confiance
– En parler à des gens (amis, parents, frères et sœurs, etc.)
E :
Être soutenu, trouver des personnes pour écouter, recevoir des conseils, et essayer de se faire aider par des professionnels
Nicolas et Marie-Amélie