Autre leçon de vie par Alexandre de Poncins [1], comment l’épuisement professionnel est-il un appel à renaître ? Pourvu que vous soyez entouré et accompagné.
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L’épuisement professionnel ne s’anticipe pas, et d’ailleurs nous refusons de le voir jusqu’au bout, il nous frappe brutalement. |
L’épuisement professionnel et le corps
Le corps est le témoin le plus fidèle de l’épuisement professionnel ; le cœur en est directement altéré. Or le cœur a un sens précis chez les anciens grecs (kardia) et latin (cordis) : c’est le siège de la vie, des passions, des sentiments, de l’intelligence, de la mémoire et de la volonté. « Le cœur a ses raisons que la raison ignore » nous rappelle à juste titre, l’auvergnat Blaise Pascal.
Une cardiologue praticienne à Lille, Claire Mounier-Vehier, dont l’expertise scientifique porte sur cet organe vital, présentait très récemment, les trois canaux par lesquels vient l’épuisement professionnel : 1) le « bore-out », la perte de sens à son travail, menant à une démotivation 2) le « brow-out », l’ennui permanent du fait de la monotonie des tâches 3) le « burn-out », issu d’un rythme de travail excessif, d’un management toxique, de la solitude…
Les prémisses sont physiologiques : troubles du sommeil, réveils en pleine nuit, changements de comportement, gaieté amoindrie, troubles de l’attention et de la concentration, des erreurs inhabituelles jusqu’à l’attaque de panique, la crise de sanglots, l’incapacité de prendre la parole, de marcher, de se lever.
Un matin, vous vous levez et sentez une sorte de claquage dans votre cerveau, dont le bruit sourd ne quittera désormais plus votre mémoire. Vous essayez de passer le pas de la porte de votre bureau, mais votre corps vous dit de fuir, qu’il y a danger de mort. C’est là où s’opère un combat entre votre volonté et votre corps.
De l’importance d’être accompagné
Il vous faut encore une bonne âme (famille, amis…), pour vous encourager à accepter de consulter votre médecin traitant et surtout à ne pas réfléchir au diagnostic ; obéir aveuglement à votre médecin est la seule chose à faire. Et à ce moment, vous comprenez que vous avez failli aller trop loin et que vous vous arrêtez juste à temps, parce que votre corps a sonné la retraite générale. Votre esprit doit alors se dépouiller de son orgueil, descendre au niveau de l’âme et commencer patiemment un travail de restauration du pont qui relie votre volonté et votre corps. Vous vous rappelez alors du philosophe latin Boète (480-524), définissant la personne humaine, comme une « unité du corps et de l’âme » ancrée dans la chair, avec un rythme cardiaque qui devient alors votre GPS. Vous devrez accepter de ne plus travailler et même de ne plus passer devant votre bureau, parce que vous sentez des bourdonnements dans vos oreilles et votre pouls s’accélérer. Combien de proches sont venus chercher la personne éprouvée par l’épuisement professionnelle, parce qu’elle était même incapable de rentrer chez elle ? Combien de proches ont déposé le matériel professionnel à l’accueil dans un carton, de la personne définitivement incapable de remettre les pieds dans son entreprise, sans même pouvoir saluer ses anciens collègues ? La première étape s’est opérée, la mort à soi.
L’épuisement professionnel comme un moyen pour renaître
Voici une excellente nouvelle, vous avez acquis la disposition requise nécessaire pour vous diriger vers votre renaissance. Il vous faudra alors quelques références épiques, pour vous stimuler ; en voici trois exemples parmi tant d’autres :
1. Tel le phœnix de Dumbledore (directeur de Harry Potter à l’école Poudlard), vous renaîtrez de vos cendres et ferez un envol magnifique.
2. Vous penserez à l’Amiral Cain, interpellant le capitaine de vaisseau Pete Mitchell (callsign Maverick) : « vous êtes une espèce en voie de disparition » … « peut-être, Monsieur, mais pas tout de suite, pas tout de suite ». Et vous repartirez sur le générique de Top Gun, à fond sur votre moto et avec vos ray-bans.
3. Vous vous imaginerez dans l’arène romaine, quand le gladiateur, surnommé l’espagnol, enlève son casque, se retourne, regarde dans les yeux l’usurpateur Commode et se présente comme le général Maximus Decimus Méridius, « commandant en chef des armées du Nord, général des légions Félix, fidèle serviteur du vrai empereur Marc Aurèle ». Le silence se fait, vous avez parlé et tous reconnaissent votre compétence. Et vous repartirez, porté par votre nom et des hommes qui vous entourent avec un grand respect.
Oui, il vous faudra une bonne proportion de lyrisme pour oser refaire un pas en avant. Vaiana (une héroïne Disney) saura bien vous embarquer sur : « Aller plus loin, D’autres cieux m’ont invité, Mais j’ai peur de m’égarer, De me perdre en chemin, Si je vais plus loin, Quitter tout ce que j’aimais, Pour ce futur que l’océan nous promet, Dois-je aller plus loin ».
Rome ne s’est pas faite en un jour, nous connaissons bien le dicton, mais savons-nous le traduire par des actes concrets ? Il existe une méthode pratique et simple pour se relancer : fixer deux micro-objectifs par demi-journée. Le temps deviendra alors un jour votre ami, et parfois ce camarade que vous n’arrivez pas à côtoyer. De même, le rapport aux autres changera parce que vous ne partagez plus forcément les mêmes horaires que « ceux qui travaillent » et vous deviendrez toute chose lorsque quelqu’un vous demandera « ce que vous faites ». Vous comprendrez alors que votre champ de bataille consistera à atteindre vos objectifs chaque jour, tout en ne vous laissant pas submerger par les vagues d’inquiétude que vous pourrez rencontrer.
Mais la plus grande victoire issue d’un épuisement professionnel sera votre revisite 360° des relations avec votre entourage plus ou moins proche. Laissons Brigitte Jacques l’exprimer avec sa plume :
« Soudain un oiseau blanc s’est détaché du ciel et s’est posé près de moi. De peur qu’il ne parte, je lui ai tendu la main. Il me regardait si gentiment que je lui ai demandé :
– Dis, est-ce que ça repousse les ailes ?
Alors il me dit avec une infinie tendresse :
– Si l’oiseau veut voler, oui, ça repousse les ailes… «
(Dis, est-ce que ça repousse les ailes ? Ed. Cerf – Fidélité)
Renaître par le lâcher-prise
Jean Monbourquette (1933 – 2011), prêtre canadien et docteur en psychologie, en a été le témoin privilégié par sa longue expérience d’accompagnement des endeuillés. Son ouvrage majeur en la matière est Grandir : aimer, perdre et grandir. Voici un itinéraire non sans risque, mais qu’il convient de suivre avec le panache d’un combattant, exposé dans un autre de ses ouvrages À chacun sa mission.
La première étape consiste à identifier les résistances que nous avons forgées, ces fortins prêts à tout pour se défendre. Ils permettent d’ »atténuer sa souffrance et se bâtir des ressources lui permettant d’affronter l’inévitable ». Deux scénarios sont possibles : vous serez en état de choc , « obsédé par les souvenirs du passé qui submergent la réalité présente » ou bien vous ferez un déni (oubli complet et tentative de remplacement inconscient). Sachez apprécier ces deux réactions, elles vous permettront de survivre, digérer la perte à votre rythme et bâtir de nouvelles forces.
La seconde étape consistera à accueillir vos émotions, comme vos camarades intimes de voyage qui vous accompagneront dans « l’impression de perdre de la maîtrise du déroulement de sa vie ». Ils deviendront vos confidents ; à ce titre, l’ennéagramme est un outil percutant pour apprendre à vivre au quotidien avec ses émotions et surtout les aimer. Vous pourrez aussi éprouver de la colère sourde, celle qui partira en trombe à l’évocation du mot clé, provoquant frustration, impatience… jusqu’à la terrible culpabilité qui vous oppressera. Le stoïcisme est alors d’une grande aide : sachez identifier ce qui dépendait de vous et ce qui ne dépendait pas de vous.
La troisième étape consistera à réaliser avec votre plus grande compétence professionnelle et personnelle, des tâches qualifiées d’insignifiantes par les autres, mais si symboliques pour vous. Et vous commencerez alors à entendre l’écho du lâcher-prise, qui arrive à grand pas.
La quatrième étape est si intime, qu’il ne me revient pas de la présenter. Votre détresse appellera à un sursaut de maturité. Viendra alors cette note de musique, si discrète au début puis persistante : votre mission vient de vous être révélée en clair. Votre blessure devient la porte d’entrée de votre futur déploiement.
Attention à l’arrête, elle peut s’avérer très difficile : « Un jour, on demanda à un ancien prisonnier de guerre s’il avait pardonné à ses tortionnaires. Il affirma que jamais il ne leur pardonnerait. Son interlocuteur lui dit alors : vous n’êtes pas encore sorti de prison ! ». Ici, aucun jugement moral mais plutôt un retour d’expérience empirique avéré dans bien des cas. Cette étape est essentielle pour entrer en possession de son héritage, là où vous « récupérez l’affection qu’on a vouée à un être aimé, à une activité ou un objet précieux ».
De l’usure à la mort à soi, de la survie à la vie, de la renaissance à l’expansion, telle est la réflexion proposée ici, tirée de mon expérience personnelle, ainsi que celle partagée par tant d’autres personnes. Concluons avec Aristote : le magnanime agit par humilité, le petit dispose au grand, le grand sublime le petit.
Alexandre de Poncins
[1] Alexandre de Poncins exerce depuis seize ans, dans le management de projets opérationnels en ressources humaines. Passionné de philosophie enracinée dans la terre, il s’attache à déployer quatre piliers fondamentaux, au regard de trois environnements pratiqués (association sociale, entreprise industrielle, cabinet RH) : 1) mettre la personne au centre 2) être joueur d’équipe 3) cultiver le terrain 4) allier humilité & efficience. Aujourd’hui, il poursuit l’objectif du développement des hommes en entreprise par la philosophie, en accompagnant les organisations et leurs équipes au long terme.